restau gastro et petit ventre
Ah ben, en voilà un de dilemme.
Eh oui, les mois passent, les lieux changent, mais les préoccupations restent les mêmes.
Alors, forte de mon expérience, je pensais qu'en bossant au super restau-gastro, je n'allais pas manger, juste grignoter un peu et que de toutes façons, tout serait sous clef or il n'en est rien.
On passe son temps à goûter, tout , le salé, le sucré; les truffes, le foie gras, les huîtres, les crèmes de légumes, les mises en bouches, les viandes, les mignardises et tous les desserts.
Les cannelés, ahhhh les cannelés, ça laisse sans voix ; ce qui est plus poli la bouche pleine.
Ah je les vois déjà, là tous les béotiens, "ah ben c'est quoi une crème de légumes, c'est d'la soupe ziva sa race"
Bé non eh bouffon, c'est pas de la soupe, mais ça commence pareil, on fait cuire des légumes dans l'eau, du céleri-rave ou du potimaron, voire du topinambour, du rutabaga ou des châtaignes.
Et puis commencent tout un tas de transformations généralement ignorées de la
ménagère, celle qui est habituellement parfaite, qui apporte les plats sur la table avec un sourire bonasse
et qui sait dénouer les conflits verbaux ou fourchettaux générés par les conversations portant sur la politique ou l'affaire dreyfus (ou assimilés) oui, ces conflits sont vite balayés d'un "quelqu'un veut un café?".
Eh bien cette ménagère, éduquée au "Ginette Mathiot" des familles, celle qui n'ignore pas qu'on peut cuisiner le cochon d'inde et étouffer le pigeon, celle qui cuit le pot au feu 6 heures et à deux eaux.
Eh bien cette cuisinière là ne passe pas sa soupe au chinois après l'avoir moulinée, ne l'oing pas largement de crème (pour les raisons de petit ventre largement évoquées dans ces chroniques), omet de la parfumer à la mélisse, d'une pointe de cardamone et que sais je encore.
Lecteur, tu m'auras reconnue dans la description de cette ménagère, encore que je ne suis pas très bonne en dénouement des conflits.
Eh oui lecteur, dans la cuisine du gastro étoilé, tu passes pour une souillon, tout juste bonne à vider le caca des mollusques et passer la raclette sous le regard méprisant de l'apprenti. Il faut bien reconnaître que c'est de bonne guerre car l'apprenti passe son temps à se faire gourmander par le commis qui lui même subit les foudres du chef de partie, lequel n'est pas épargné par le chef ou le second.
Et comme si ça ne suffisait pas de préparer une crème de légumes, on y ajoute un sabayon/siphon aux herbes ou au corail. En plus il faut poser ça ; d'une main et avec une cuillère chauffée, le geste est précis et la cuillère incurvée jusqu'à la fin du geste attention!!!! il faut donc poser ça en quenelle au dessus de la crème.
J'ai commencé à prendre des cours de quenelles mais je dois m'améliorer car je fais de la grosse quenelle pas très régulière, alors qu'il faut réussir à former une jolie quenelle qui ressemblerait à une île, un havre de paix sur un océan, l'espoir vert (si c'est le sabayon aux herbes) pointant sous l'incandescence de la crème au potimaron. Rhhhaaaa c'est mal !!! grosse et vilaine quenelle!!!!
Orange et vert quoi, dans un bol c'est très joli. D'autant qu'on plante des petites herbes sur la quenelle, on dirait une huppe d'oiseau du paradis.
Mon dieu que c'est beau, il ne lui manque plus que la parole, ça pourrait chanter une gracieuse mélopée, telle une sirène.
D'ailleurs quand j'étais petite, si j'échappais à la surveillance, je m'habillais souvent en orange et vert.
Aujourd'hui encore j'aime ça mais je n'ose plus, des années de moquerie ont eu raison de mes goûts vestimentaires.
Et je n'ai pas encore évoqué la pâtisserie, aaahhhh je reste tapie dans l'ombre à proximité de mon héros,
le pâtissier, le Zorro des sucreries,
celui qui manie, le fructose, le gianduja et l'agar agar avec une virtuosité magnifique, maîtrisant son marbre comme Don Diego maîtrise Tornado et Bernardo la gestique des sourds.
Il faut le voir et l'admirer, étalant son chocolat avec la prestance d'un escrimeur, travaillant la couleur de ses macarons avec une minutie extrême, réalisant des mille-feuilles aux poires dont l'architecture émouvante donne une impression de fragilité, de finesse et d'équilibre.
Et chaque jour, une petite pause dans nos 12 heures de travail quotidien, les repas du personnel ressemblent à s'y méprendre à un repas du dimanche, gigot et haricots péteurs compris. Enfin il peut s'agir de rôti de veau et pommes de terre sautées, de paella... enfin c'est toujours délicieux.
Bref je supporte aisément le décrottage des mollusques, la chiffonnette, la raclette et les vexations des petits chefs pour voir toutes ses merveilles.
Guiguite émerveillée